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Comment j'ai appris à lire - Agnès Desarthe

8 Janvier 2014 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

Comment j'ai appris à lire - Agnès Desarthe

Ce livre est un pur bonheur. Un voyage intime au plus près des sensations de l'auteur qui tente de décortiquer le parcours qui l'a menée, depuis l'enfance et sa réticence vis à vis des livres jusqu'à l'actuel bonheur de lire. Un parcours chaotique, atypique dont Agnès Desarthe nous offre le récit palpitant et plein d'humour.

Pour tenter de le comprendre, elle se replonge dans son enfance, explore les avantages et les contraintes de ses origines multiples et surtout marquées par l'exil (Algérie pour son père, Europe de l'Est pour sa mère) et le multilinguisme (chez elle on parle arabe, yiddish, anglais ou français). De là pense-t-elle, son penchant et son don pour la traduction, son premier métier. Pendant longtemps, Agnès Desarthe va refuser les livres, elle décrète qu'elle n'aime pas lire. Son premier contact avec la lecture, le manuel scolaire "Daniel et Valérie" (ma génération reconnaîtra) la dérange tant elle trouve ces personnages éloignés de sa réalité. Pourtant, elle est une élève assidue et avide d'apprendre. Elle sait déjà qu'elle veut être écrivain, mais lire lui semble une perte de temps, elle préfère coucher ses histoires sur le papier. En fait, elle lit un peu. Elle entame un parcours très personnel, refusant les livres imposés, préférant se laisser guider par leur forme ou par l'imaginaire auquel ils font appel (une couverture, un titre, un pouvoir d'évocation...). Prend-on seulement conscience à cet âge du rôle social de la lecture ? Du poids des conventions qui dictent "ce qu'il faut avoir lu" ou au contraire "les auteurs qui manquent d'intérêt". Son père a entrepris de la soigner à l'aide des polars américains des années 60. Et ça marche... C'est lui encore qui lui met Marguerite Duras entre les mains, "Le ravissement de Lol V.Stein". Voilà un titre capable de susciter son intérêt... Et le miracle se produit.

"Je lis le livre. L'étonnement reste vif. J'en ai le souffle coupé. Je n'ai jamais rien connu de tel. Une cadence, un rythme qui arrachent à la langue son col, ses souliers, sa cravate, son petit pardessus étriqué. La langue va nue, elle va neuve, elle est décollée des conventions. Je ne reconnais rien de ce qui me tétanise chez les adultes et que je trouve trop souvent dans les livres que l'on voudrait me faire lire : la morgue, la sévérité, le faux-semblant, la condescendance, la terreur masquée par l'assertivité."

Des rencontres importantes, il y en aura quelques unes. Agnès Desarthe fait le constat amusé que toutes celles qui ont compté dans son parcours vers la lecture, de sa première institutrice à Geneviève Brisac, ont en commun l'initiale B de leur nom de famille. Les rencontres avec les auteurs qui feront tomber une à une les barrières qui l'empêchent encore d'accéder au plaisir de la lecture. Et surtout, Normale Sup. Où elle est admise sans avoir lu aucun des auteurs au programme mais où elle vivra les plus belles années de sa jeune vie grâce, encore, à une Madame B., professeur de littérature. Elle se met à lire et, paradoxalement, cesse simultanément d'écrire.

"Est-ce le choc de la comparaison ? A présent que je vois ce que la littérature a produit, je me rends compte de ce qui me sépare du... j'ignore comment nommer cela : le talent ? le génie ? Peut-être plus humblement "le métier". Je n'ai aucun métier. Je tombe d'assez haut. Je n'ai pas arrêté depuis."

Dans son cheminement, Agnès Desarthe intègre une profonde réflexion sur l'éducation (des filles notamment) ainsi que sur le poids de l'histoire familiale dans les apprentissages freinés par des blocages inconscients. Les pages sur le métier de traducteur sont vraiment sublimes et apportent un éclairage extrêmement intéressant sur le travail et l'abnégation nécessaires. Le travail gigantesque pour retrouver et relater ses sensations est époustouflant et éclaire joliment le métier d'écrire, le bonheur de lire et le lien indéfectible qui unit les deux.

"A présent que lire est devenu mon occupation principale, mon obsession, mon plus grand plaisir, ma plus fiable ressource, je sais que le métier que j'ai choisi, le métier d'écrire, n'a servi et ne sert qu'une cause : accéder enfin et encore à la lecture, qui est à la fois le lieu de l'altérité apaisée et celui de la résolution, jamais achevée, de l'énigme que constitue pour chacun sa propre histoire."

"Comment j'ai appris à lire" - Agnès Desarthe - Stock - 173 pages

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B
Beau billet... Qui donne envie de relire immédiatement!!!
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B
Il y a parfois de ces cadeaux qui semblent évidents...
N
Merci du cadeau by the way...