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La Religion - Tim Willocks

1 Avril 2014 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

La Religion - Tim Willocks

Phénoménal ! Incroyable ! Hallucinant ! Difficile de choisir entre les superlatifs tant cet ouvrage ne laisse pas indifférent. C’est Alexandre Dumas revisité par Quentin Tarentino. Une trame historique extrêmement bien documentée, alliée à une construction romanesque magistrale, tout ceci servi par une belle efficacité narrative. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu sous les yeux un phénomène pareil. Surtout, ne pas avoir peur des 950 pages. A la fin, on en redemande…

L’action se situe en 1565, sur l’île de Malte. Ceux qui y sont allés connaissent évidemment cet épisode historique, le combat et la résistance héroïques des chevaliers de l’ordre des Hospitaliers face à la volonté des Turcs de s’ouvrir, par la conquête de l’île, l’accès à l’occident. A l’époque, les Chevaliers ont trouvé refuge à Malte après plusieurs défaites face aux mêmes Ottomans, notamment à Rhodes. Le grand maître La Valette, qui donnera son nom au théâtre des affrontements sanglants décrète que ce sera "la victoire ou la mort, il n'y aura pas de fuite". Malgré un déséquilibre flagrant en termes d’effectifs (1 îlien pour 5 turcs), Malte résistera pendant 111 jours, jusqu’à l’arrivée de renforts envoyés par le roi d’Espagne et dont le rassemblement a été retardé par les luttes de pouvoir qui agitent Rome et les différents courants de l’Église. Sans compter la main mise que le Pape aimerait bien exercer sur ces Chevaliers qui échappent à tout pouvoir. Des Chevaliers qui eux-mêmes n’échappent pas aux intrigues entre les différentes langues (Italiens, Francs, Anglais…). Voilà pour le contexte historique, absolument passionnant.

Maintenant, les personnages et l’intrigue. Le héros, Mattias Tannhauser est un « devshirmé », un guerrier d’origine saxonne (on le surnomme « l’allemand »), enlevé à 12 ans par les turcs après le massacre de son village et de sa famille et enrôlé à l’école de la guerre, celle qui forme les janissaires, une armée d’assassins, une élite. Après des années de batailles et de violence, il s’est installé à Messine et spécialisé dans le commerce, notamment d’armes et d’opium avec quelques associés, bien décidé à ne plus pratiquer son art de la guerre. Revenu de tout, pensant avoir vu ce qu’il y avait de plus horrible, il est doté d’un fabuleux appétit de vivre et ne souhaite plus qu’une chose, profiter des plaisirs de la vie. Mais certains ont d’autres ambitions pour lui. La Valette le veut à ses côtés pour exploiter sa connaissance exceptionnelle de l’ennemi auprès duquel il a vécu pendant une dizaine d’années. Et il s’appuie sur son point faible, les femmes, autant que sur son esprit chevaleresque pour l’attirer à Malte. Mattias accepte ainsi d’aider la comtesse Carla de la Penautière à retrouver le fils qu’on lui a arraché à la naissance avant de la chasser loin de l’île quand elle n’avait que quinze ans. Il embarque pour Malte, avec Carla, sa compagne Amparo et son compère Bors, persuadé de régler cette affaire en quelques jours et bien décidé à rejoindre l’Italie avant que les turcs n’arrivent, n’ayant aucune intention de replonger dans la guerre. Bien sûr, les choses ne se passeront pas tout à fait comme il les a imaginées et son séjour à Malte sera bien plus long et pimenté que prévu.

La guerre est ici racontée avec un mélange de crudité et de lyrisme. A la fois très réaliste avec ce côté un peu outrancier dans la description du bain d’hémoglobine, d’excréments et de viscères dans lequel trempent les combattants, qui fait penser à Tarentino, aussi parce que le lecteur n’a aucun mal à visualiser les scènes. On est loin de l’idéalisation des combats, bien au contraire. Le contexte politique est de toute façon propice aux pires exactions et la violence déployée par les combattants n’est pas si éloignée de celle utilisée pour résoudre des conflits plus personnels. Le personnage de Mattias dont on découvre la vie et les influences au fil des pages, et notamment l’érudition, résultat de deux années passées auprès d’un sage scientifique et philosophe, exécuté par l’Inquisition, est le symbole de la tolérance et du respect entre les peuples. Malgré ses pratiques guerrières et ses différents enrôlements, il est celui qui connaît et apprécie les deux cultures. Et qui se rend compte le premier de la folie des hommes qui gouvernent le monde, uniquement préoccupés de leur pouvoir et de leur puissance, quitte à sacrifier leurs peuples. Et ce, quel que soit leur camp et le nom du Dieu derrière lequel ils se cachent pour justifier les massacres.

Fantastique roman, et fantastique romancier dont on publie ces jours ci un nouveau volet des aventures de Mattias Tannhauser dont l’histoire se déroule à Paris, en 1572, en pleine guerre de religion (décidément, un contexte inspirant), « Les douze enfants de Paris », 900 pages également… Sacré programme.

"La Religion" - Tim Willocks - Pocket - 950 pages

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E
Une somme, à dévorer, de taille et d'estoc. Tout à fait de votre avis. je l'ai chroniqué aussi.
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N
C'est sûr, il faut oser s'y attaquer mais alors... quelle aventure !
E
belle critique. ce livre est dans ma PAL mais j'avoue que je bute sur les 900 pages..... mais mon intérêt vient de se raviver !!!
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N
C'est impressionnant au départ mais très vite, on est emporté par le récit d'autant plus que l'auteur arrive à trouver un bon équilibre en entrecoupant les phases historiques et guerrières de passages plus romanesques... Bonne lecture alors, et j'espère avoir vos impressions une fois le livre terminé.